Dans l’entreprise libérée, le rôle toujours central mais réinventé du dirigeant ?
Pour mieux répondre aux aspirations des salariés et à celles des dirigeants en évolution, les entreprises opèrent des mutations jusque dans leur organisation. Les changements sont parfois très profonds, avec une remise en question de traditions bien ancrées, une hiérarchie remise à plat, une autonomie complète des collaborateurs et un collectif plus soudé que jamais… C’est la promesse, et surtout l’état d’esprit, de l’entreprise libérée.
Dans l’entreprise libérée, la confiance du dirigeant est au premier plan
Évolution dans les manières de penser le monde du travail oblige, aujourd’hui, une partie des entreprises ne misent plus uniquement sur le salaire pour motiver leurs effectifs. La reconnaissance du travail accompli, le bien-être au travail et la possibilité de gagner en autonomie sont des valeurs recherchées.
Dans l’entreprise libérée, on pousse ce principe à son paroxysme : un management de lâcher-prise axé sur la confiance (tout en actant des objectifs, des moyens pour y parvenir et dans l’absence quasi-totale de contrôle hiérarchique) qui ne concerne encore qu’une minorité de sociétés.
« La confiance en l’équipe, c’est le prérequis pour faire fonctionner une entreprise libérée, précise Jérémie Bataille, fondateur en 2015 de FLEXJOB qui accompagne les entreprises pour faciliter l’émergence des nouvelles façons de travailler, et est engagé dans cette organisation novatrice. Or, pour faire confiance aux autres, il faut d’abord avoir confiance en soi. Cela nécessite parfois un travail sur soi, pour mieux comprendre ses mécanismes de fonctionnement. La confiance en soi ou en les autres n’empêche pas le dirigeant d’avoir des doutes. La différence, c’est que dans l’entreprise libérée, il ose les exprimer. »
Entreprise Opale : une libération encore plus forte Dans le stade le plus avancé de l’entreprise libérée, l’entreprise Opale, la vie économique de la société dépend des initiatives créatives des collaborateurs, réunis autour d’une même cause, sans attente de résultat prédéfini. Les salariés au même niveau que le dirigeant se mettent collectivement au service de la raison d’être de la société, avec une approche sociale, solidaire et humaine très marquée. |
Un dirigeant investi à 100 %
L’entreprise libérée, comme l’entreprise Opale, repose sur l’application d’une organisation remaniée et d’un environnement fertile à l’épanouissement des équipes, où un dirigeant a confiance en l’intelligence collective pour avancer :
- L’organisation de la hiérarchie est fortement assouplie, allant jusqu’à la disparition du système pyramidale et de la division en départements (donc de l’encadrement intermédiaire) ;
- Chacun est autonome dans la gestion de son temps et dans la façon d’atteindre ses objectifs… ;
- Les salariés sont responsabilisés et encouragés dans la prise d’initiatives individuelles ;
- La parole est libérée, que ce soit entre les collègues ou avec le dirigeant. La sincérité est un des ciments de cette organisation ;
- Un leader, très présent, incarne la nouvelle philosophie de l’entreprise. Il croit au projet et applique réellement ces principes : « Dans toute organisation responsabilisante, le leader doit développer sa capacité à regarder différemment, et surtout à se laisser influencer, analyse Jérémie Bataille. Bien sûr, je dois prendre des décisions, en temps de crise notamment, mais cela ne m’empêche pas de solliciter les avis de mes collaborateurs pour prendre des décisions éclairées et influencées. Avec l’entreprise libérée, c’est mon rapport au monde dans son ensemble qui a changé ! Aujourd’hui, ce qui m’importe c’est l’impact social de l’entreprise, le profit en est une conséquence. J’ai plus de convictions. Je travaille moins, j’ai moins de stress, car la responsabilité de l’entreprise ne repose plus uniquement sur mes épaules. »
L’entreprise libérée : une promesse d’opportunités
Pour les dirigeants, opérer cette bascule a un sens social important. Il est essentiel de croire en ce projet qui dépasse la question économique. L’entreprise libérée est synonyme de motivation à la hausse (avec des missions qui prennent un nouveau sens), d’équipes plus soudées et d’innovations débordantes, avec une prise d’initiatives encouragée qui génère plus de créativité.
Plus agile mais également plus solide par l’engagement qu’elle génère, l’entreprise évolue en fonction de la volonté des individus qui la composent.
Des freins au changement
L’entreprise libérée peut logiquement faire peur aux dirigeants, mais aussi aux salariés, généralement habitués à une organisation hiérarchique aux contours bien définis, encore très ancrée dans la culture professionnelle.
L’autonomie totale peut engendrer du stress face à la responsabilité collective qui s’exerce. L’isolement est un risque pour ceux qui ont des difficultés, y compris personnelles. Des dérives sont aussi à redouter si certains comportements ne vont pas dans le sens de l’intérêt de tous. Enfin, les détracteurs de l’entreprise libérée lui reprochent la stigmatisation de l’encadrement, dont l’utilité est réelle et saine lorsqu’elle s’exerce en bonne intelligence.
Naturellement, s’engager dans l’entreprise libérée n’est pas un acte anodin : « Il faut bien mûrir la décision avant de s’engager dans la voie de l’entreprise libérée, met en garde Jérémie Bataille. Dans ce modèle, chaque personne doit apporter une pierre à l’édifice. D’où la difficulté à recruter. Je me suis rendu compte à quel point les processus de recrutement et d’onboarding devaient être aussi exigeants que bienveillants. Et puis le quotidien d’une entreprise libérée n’est pas toujours rose, ni facile à vivre, car la transparence implique l’exigence. Et ce n’est pas un modèle duplicable. Chaque entreprise, chaque collectif, doit trouver un mode de fonctionnement qui lui est propre. »