Avec la réforme annoncée des retraites, la QVT des collaborateurs séniors doit être au cœur des préoccupations des entreprises
Repoussée mais toujours annoncée, la prochaine réforme des retraites entraînera un allongement de la vie professionnelle et une proportion plus grande de travailleurs plus âgés. Si ça n’est déjà fait, la QVT des séniors devrait alors devenir un sujet central dans les entreprises. Analyse de Fabienne Caser, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).
À quels enjeux doivent répondre, aujourd’hui, les entreprises en matière de QVT de leurs collaborateurs séniors ?
Au regard des statistiques, l’enjeu est déjà de pouvoir vraiment continuer à travailler jusqu’au passage en retraite. Dans les faits, ce n’est pas toujours le cas. Aujourd’hui, il y a des sas de transition entre l’emploi et la retraite qui ne sont pas négligeables : pratiquement la moitié des salariés qui liquident leur retraite à 62 ans ne sont déjà plus en emploi. Ils sont au chômage, en invalidité, inscrits dans des dispositifs de maladie longue durée… Il y a des phénomènes d’usure professionnelle.
Pour une partie des travailleurs, le fait d’avoir été soumis pendant plusieurs années à une accumulation de contraintes dans le travail va faire qu’ils ne vont plus pouvoir, à un moment donné, rester en emploi pour des raisons de santé. Pour pouvoir se maintenir en emploi jusqu’au bout, et dans un contexte où les différentes réformes allongent la durée de travail pour l’obtention d’une retraite à taux plein, il faut se poser la question de la santé et de la prévention de l’usure professionnelle le plus tôt possible dans la carrière. Sans quoi il n’y aura pas d’allongement effectif des vies professionnelles.
Comment faire pour que ces profils continuent de se sentir valorisés dans l’entreprise ?
Souvent ce sont des salariés qui ont une longue expérience, dans leur entreprise actuelle ou ailleurs. Les valoriser peut par exemple passer par le fait d’identifier et de reconnaître ce que cette expérience apporte à l’entreprise, en quoi elle consiste et sur quoi elle repose. Il faut également se méfier de certaines idées reçues, comme celle de la résistance au changement des salariés vieillissants.
Il faut comprendre ce qu’il y a derrière cette « résistance ». Les salariés expérimentés ont déjà connu des changements avec des impacts perçus plus ou moins positivement qui peuvent influencer leur point de vue. Certains changements d’organisation peuvent aussi remettre en question des façons de faire, des manières de travailler qui avaient été élaborées sur la durée pour compenser des difficultés et pouvoir tenir au travail tout en restant efficaces.
Et si les compétences doivent évoluer suite à des changements, qu’ils soient technologiques ou organisationnels, c’est important que les dispositifs d’accompagnement, par exemple les formations, partent de l’expérience de travail existante, ou du moins n’en fassent pas table rase.
Quelles actions concrètes mettre en place pour éviter l’usure professionnelle ?
Tout l’enjeu est de détecter en amont des signaux (absentéisme, douleurs, incapacités, etc.) pour anticiper les situations qui risquent de conduire à une sortie précoce de l’emploi ou à des dernières années de vie professionnelle avec un état de santé dégradé. Il y a deux grands leviers d’actions pour travailler sur la prévention de l’usure professionnelle : le premier est lié aux conditions de réalisation du travail. Cela suppose d’aller finement dans l’analyse des situations de travail et de mettre le doigt sur ce qui pose problème, ce qui peut générer des contraintes et mettre les personnes en difficulté.
Puis de voir comment réduire ces contraintes : aménager les postes de travail bien sûr, mais il s’agit aussi d’agir sur des situations de travail identifiées comme critiques en améliorant la manière dont le travail est organisé. Les salariés peuvent-ils ajuster leur façon de travailler en fonction de leurs éventuelles limitations physiques ? Peut-on facilement faire appel à des collègues de travail ? Y a-t-il des marges de manœuvre pour réguler la charge de travail ?
Ou comment augmenter les ressources : dans ce volet il y a aussi le développement des compétences, par la formation mais aussi par exemple par des temps d’échanges entre collègues permettant de partager des pratiques pour réaliser un travail de qualité tout en préservant sa santé. Le deuxième volet sur lequel les entreprises peuvent agir, ce sont les parcours. S’il n’est pas possible d’améliorer certaines situations de travail, on peut identifier des situations ou des postes qui peuvent être problématiques si on y reste trop longtemps.
Parfois il est possible de faire évoluer les personnes vers des missions ou des fonctions moins sollicitantes physiquement ou psychiquement. Mais l’usure professionnelle n’est pas systématique. Le travail est aussi facteur de construction de la santé.
Quel impact la réforme annoncée des retraites va-t-elle avoir sur la QVT des collaborateurs séniors ?
Cela va dépendre des pratiques des entreprises. Pour prolonger la vie au travail, il faut s’interroger sur les conditions de travail. Les enquêtes sur les conditions de travail montrent que certaines caractéristiques du travail, qui sont connues pour être plutôt pénalisantes pour les travailleurs vieillissants, et sources d’usure professionnelle, continuent leur progression. Travailler de nuit est plus difficile quand on vieillit car la qualité de sommeil se modifie.
Les exigences physiques, le travail sous fortes contraintes de temps, les changements fréquents dans le travail (changements de techniques, changements d’organisation…), sont des contraintes qui peuvent mettre davantage en difficulté des salariés qui avancent en âge.
Avec l’allongement de la vie professionnelle, nous allons observer une augmentation de la proportion des travailleurs plus âgés dans les entreprises. Il faut donc, dès maintenant, créer des conditions qui permettront de travailler avec une population globalement plus âgée.
Cela passe par une prise de conscience du phénomène et un questionnement des organisations du travail. Cela implique que plusieurs catégories d’acteurs de l’entreprise travaillent ensemble (préventeurs, médecine du travail, RH, managers, partenaires sociaux…). Pour sensibiliser et accompagner au mieux les entreprises, une action coordonnée d’un éco-système d’acteurs au niveau des territoires se révèle souvent utile : organisations professionnelles, acteurs de la santé, de l’emploi et de la formation professionnelle…
L’objectif est d’aller vers plus d’anticipation et de favoriser de bonnes conditions de travail tout au long de la vie professionnelle.