La méditation donne la capacité essentielle de faire face au burn-out
Christophe André est médecin psychiatre dans le Service Hospitalo-Universitaire de l'hôpital Sainte-Anne, à Paris, au sein d’une unité spécialisée dans le traitement et la prévention des troubles émotionnels, anxieux et dépressifs. Il y dispense aussi des cours de méditation. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont «3 minutes à méditer », et le plus récent « La vie intérieure », inspirés par ses chroniques sur France Inter et France Culture sur ces mêmes thèmes. Pour Mieux-le Mag, il évoque l’impérieuse nécessité de prendre en charge les personnes ayant vécu un burn-out. A l’aide de traitements classiques, puis de méditation ou d’éducation à la psychologie positive qui permettent un retour plus serein à la vie professionnelle.
Comment décririez-vous le burn-out ?
Le concept reste encore un peu flou, même si chacun voit à quoi cela correspond. Faut-il pour autant le caractériser comme une pathologie spécifique ? Cela reste difficile à dire. Nous, médecins psychiatres, nous parlons de burn-out quand les trois conditions suivantes sont réunies. D’abord, il s’agit d’un effondrement brutal (même si ses prémisses couvent depuis longtemps), qui couve depuis longtemps, et non d’un glissement progressif. La personne s’effondre. Elle ne peut plus sortir de son lit. L’idée du travail la ravage. Parfois cela surprend même son entourage, ses collègues.
Ensuite, il s’agit bien d’un effondrement dépressif, avec des crises d’angoisse. La personne ressent de la dévalorisation, une incapacité d’agir, un pessimisme ravageur et parfois l’envie de mettre fin a ses jours. Enfin, c’est un tableau en général consécutif à une usure liée à l’accomplissement d’une tâche ou d’une mission. Celle-ci peut-être professionnelle, mais aussi familiale comme chez des aidants de malades d’Alzheimer.
Peut-on parler de profils, de personnalités qui y seraient plus facilement sujettes ?
C’est souvent un profil spécifique de personnes avec un souci de perfectionnisme, de contrôle de la situation, qui veulent bien faire. Des gens consciencieux, concernés. Presque trop concernés. On pourrait presque dire que si on est un peu cool, dilettante, par rapport aux missions, on est plutôt protégé.
Quand on retrace la chronologie d’un burn-out, quand on fait le « post crash », que l’on mène l’enquête psychologique, on retrouve toujours les mêmes scénarios. Des gens chez qui la préoccupation du travail envahit tout, qui sacrifient leurs temps de repos et de récupération au profit du travail, pour finir des dossiers ou répondre aux mails… Et à partir de ce moment de bascule, soit ils ne comprennent pas, soit ils ne veulent pas voir, soit ils n’ont plus le choix. Ils sacrifient tout leur temps à rattraper ce qu’ils pensent être leur retard, ils sont dans un goulot d’étranglement. Ils continuent de travailler de ressasser, de se préoccuper… Quand ce noeud coulant s’est engagé, c’est la pente directe vers le burn-out.
Est-il possible de « réparer » un burn-out et par quelles méthodes ?
Il y a deux étapes. Dans l’urgence, il faut un traitement classique avec antidépresseurs et arrêt de travail prolongé. Il faut un protocole de soin de dépression sévère. Ensuite, il ne faut surtout pas remettre la personne dans le circuit professionnel sans l’avoir recadrée. Il faut aussi ouvrir les yeux de l’entourage personnel et professionnel, sur le fait qu’il n’est pas possible de continuer en l’état. Et il est important pour les patients de comprendre que ce n’est pas seulement parce qu’ils sont fragiles qu’ils en sont arrivés là, mais que d’autres ont eu les mêmes symptômes, qu’ils sont tombés dans la spirale comme d’autres. Dans cette période de convalescence, on peut utiliser plusieurs techniques.
Une éducation à la psychologie positive apprend à se permettre de prendre des bons moments. Cela fait prendre conscience que se détendre, ce n’est pas juste une récompense. Si on ne se détend pas, on ne tiendra pas, on ne pourra pas faire face. C’est tout l’interrogation sur le bonheur ! Le bonheur n’est pas un luxe, mais un moteur indispensable. Dans la dépression, on parle d’anhédonie, de l’incapacité à ressentir du bonheur. Dans ce cas, on ne peut plus avoir d’énergie vitale. On ne trouve plus de sens à notre vie. L’éducation à la psychologie positive permet de comprendre que grâce aux moments de bonheur, on peut mieux traverser des passages difficiles ensuite.
La méditation, que vous pratiquez, enseignez et développez dans plusieurs livres dont « 3 minutes à méditer », est un autre moyen d’aider les patients en burn-out ?
Bien sûr. Pour commencer, et c’est énorme, elle donne la capacité de faire face. Elle conduit à prendre en compte uniquement les difficultés, et non les constructions mentales qui vont avec. Celles qui nous disent « je suis le seul à ne pas pouvoir faire face, je ne suis pas assez efficace… » La méditation nous enseigne à mieux voir le comportement de notre esprit.
Ensuite, elle nous redonne le respect de notre corps, la capacité à le pacifier et à prendre des décisions. C’est un travail de discernement, qui permet de mieux voir les pièges dans lesquels on se précipite. Et de percevoir les moments où le corps va déraper. La méditation permet de repérer les signaux que le corps envoie, comme les voyants rouges dans une voiture.
Vous et vos équipes donnez des cours de méditation à l’hôpital Saint-Anne. Quelles sont les règles pour que cela soit efficace ?
Il est important de suivre un cycle de trois mois, une fois par semaine. Ce n’est pas long. Ce qu’en gardent les gens, c’est l’habitude de s’arrêter dans la journée, de ressentir leur souffle, leur corps, et de laisser décanter tout ça.
Dans nos cours on fait la comparaison de la boule à neige, celle avec un petit monument à l’intérieur par exemple. Si on la secoue, ça fait plein de flocons. Et si on veut que ça revienne au calme, il faut tout simplement arrêter de secouer ! On se pose, on arrête de faire fonctionner son esprit. On regarde circuler les pensées sans les alimenter. Ça donne cet effet boule à neige, les pensées se calment, le stress décante.
On a les deux conséquences favorables. D’abord, un apaisement émotionnel. Mais aussi un peu plus de discernement sur l’état dans lequel on se met, par exemple. En pratiquant ces petites pauses avant une action, on devient plus lucide, apaisé. On prend davantage soin de nous. Cela permet de mieux voir ce qui relève purement de la situation, et ce qui relève de nos affolements, de nos amplifications intérieures.
Au fur et à mesure, cela devient une hygiène de vie, un rendez-vous. Dans le burnout, il y a un oubli de soi : de son corps, de ses limites, de ses besoins. La méditation aide à les retrouver.
Quels sont ces signaux d’alarme que le corps envoie, dans le cas du burn out ?
Les signaux classiques de l’anxio-dépression. À la fois le sentiment que tout est de plus en plus coûteux : on a de plus en plus de mal à se lever, à faire fonctionner son cerveau, et une perte de contrôle sur ses angoisses… Mais ce qui est très spécifique du burn-out, c’est ce sacrifice progressif des temps agréables au profit des temps de travail.
Quand on commence à ne percevoir les temps à bavarder, à lire, à marcher dans la nature que par rapport aux tâches qu’on devrait faire : ménage, repas pour le lendemain, traitement des mails, … Quand on commence à considérer que c’est du temps perdu, que ça nous met en retard… et quand les gens qu’on aime nous agacent, comme les temps personnels, les sorties, le sport, le danger est là. C’est le signal.
Que se passe-t-il si on ne traite pas un burn-out ?
Les épisodes dépressifs sévères sont comme des infarctus. Votre coeur fonctionne, mais il a pris un coup. Si vous ne changez pas de style de vie, d’alimentation, ça va recommencer. Vous avez de fortes chances de refaire un infarctus. Avec la dépression, c’est pareil. Il y a des cicatrices dépressives, une empreinte traumatique, une vulnérabilité parce qu’on sait qu’on peut s’effondrer. On a peur que la dépression revienne. On a peur du burn-out, qui a été un véritable événement traumatique. Et du coup, on a des crises d’angoisse dès qu’on ressent de simples oscillations de son moral. Alors que c’est normal, tout le monde en a. Si on ne rectifie pas, c’est la rechute. Avec un risque qui augmente à chaque nouvel épisode.
Peut-on dire que la société du travail d’aujourd’hui en est la cause ?
Je ne pense pas. Les gens travaillaient aussi énormément avant. Ils se tuaient littéralement à la tâche. L’époque est quand même beaucoup plus clémente, car on a des temps de vacances, on ne travaille plus le samedi, le dimanche. Mais l’insécurité dans monde du travail, liée à l’emploi, réintroduit se concept de « se tuer à la tâche » non plus physiquement, mais d’une façon insidieuse, psychologique. On intériorise l’idée qu’il faut rendre une copie parfaite, sans quoi on se met en danger. Avant, les attentes vis a vis du travail étaient très sévères. Peut-être que le burn-out n’existait pas, on ne se posait pas la question, car il s’agissait de survie matérielle.
L’omniprésence du numérique a-t-elle une influence ?
Le numérique, c’est génial, quand son usage est controlé, mais c’est aussi un danger absolu. C’est comme le sucre. Le temps passé sur les écrans, pour des raisons professionnelles mais aussi personnelles, est de plus en plus important. En famille, par exemple, il vole au temps passé à trois autres activités essentielles : le sommeil. Les échanges familiaux et amicaux. Et enfin, le temps de vie intérieure. Celui où on se pose, on regarde le ciel ou les gens… On va se coller directement sur les écrans. Ce sont des toxiques, des polluants attentionnels et relationnels, des obstacles à nos vies intérieures.
Qui plus est, le temps d’écran n’est jamais un temps de détente. Même quand vous jouez, vous avez les sourcils froncés, vous ne clignez pas des yeux, votre respiration se bloque. Or, il faut aussi s’asseoir, méditer, rigoler avec les autres. Le temps devant l’écran est un temps de tension, dans l’attente de messages. Et dans une spirale de burn out, c’est aggravant !