Quelles sont les attentes de la génération Z dans le monde du travail ?
On projette beaucoup de choses sur cette fameuse génération Z qui arrive dans le monde du travail. Mais quelles sont réellement les attentes des plus jeunes collaborateurs en termes de management, d’horaires et de sens ? Les réponses d’Elodie Gentina, professeure à l’IESEG School of Management, experte de la génération Z et conférencière en entreprise.
Comment décrivez-vous la génération Z dans le monde du travail ?
Même si je l’utilise aussi, forcément, le terme “génération Z” me gêne car il implique un ensemble d’individus qui auraient vécu les mêmes événements de vie et qui serait un groupe plus ou moins homogène… Ça n’est pas le cas. Je préfère donc parler des digital natives. Autrement dit, les personnes nées après 1995, qui n’ont connu que la 4è révolution numérique, donc le monde d’Internet, et le smartphone en particulier.
Je dirais que ces digital natives ou cette génération Z sont un symptôme vivant d’un monde en profonde mutation. Ils viennent perturber les codes de la société au même titre que l’hypermodernité, l’hypermondialisation, le numérique.
On dit beaucoup de choses à leur sujet, et notamment :
- qu’ils sont une génération numérique. Il est vrai que le smartphone fait partie intégrante de leur vie, que les réseaux sociaux les qualifient, qu’ils sont sur Snapchat, sur Instagram et sur TikTok… Ce qu’il faut savoir, c’est qu’ils vivent en réseau, et que c’est grâce aux réseaux sociaux numériques qu’ils font communauté. En même temps, c’est une génération qui a besoin de face-à-face, d’être présente dans l’entreprise. De fait, quand ces jeunes arrivent dans le monde du travail, ils ont besoin d’expérimenter, d’apprendre en équipe, d’apprendre de leur manager. Beaucoup de gens sont étonnés de savoir qu’ils préfèrent la flexibilité au télétravail par exemple ;
- qu’ils sont zappeurs. En matière de consommation, ils passent effectivement d’une marque à une autre. Lorsqu’ils sont mécontents d’un travail ou que la routine s’installe dans celui-ci, certains sont capables de quitter l’entreprise en un claquement de doigts – D’ailleurs, ils ne sont pas forcément adeptes du CDI. Mais derrière la notion de zapping, ce qu’on voit, c’est qu’ils ont besoin de renouveler leurs compétences, d’apprendre en permanence. Si l’entreprise leur permet cela, à travers des formations, de l’intrapreneuriat, alors ils restent dans l’organisation ;
- qu’ils sont rebelles et remettent en cause l’autorité. C’est un peu vrai. Et en même temps, si on cherche à les comprendre, on se rend compte qu’ils veulent juste une autorité relationnelle plutôt qu’une autorité de fait. Lorsqu’ils respectent leur manager, parce qu’ils le trouvent inspirant, avec les soft skills attendues, tout se passe bien. Si on leur propose l’entreprise libérée, l’absence de feedbacks, la totale indépendance, alors ça ne leur correspond pas. L’idéal pour eux, c’est l’autonomie, mais avec un cadre rassurant, et un management de proximité.
Si j’ai un conseil à donner aux entreprises, c’est qu’il ne faut pas s’arrêter à ces clichés et surtout, qu’il ne faut pas arrêter de discuter avec eux. Ils sont les leaders de demain.
Vous évoquez la flexibilité souhaitée par la génération Z. À quel point est-ce clé ?
Pour eux, le présentéisme ne sert à rien. Ce qui est important, c’est le résultat. S’ils ont terminé leur travail une heure avant la fin de la journée, pourquoi rester dans les murs de l’entreprise ? S’ils ont un match de tennis possible à 17 heures, pourquoi ne pas y aller et se reconnecter à 20 heures ? Ils attendent de la flexibilité et de la confiance. Et cette confiance, ils la méritent. Lorsqu’ils sont passionnés par quelque chose, ils s’investissent vraiment.
Idem pour les congés. On voit de plus en plus de jeunes collaborateurs qui ont le souhait de s’engager quelques mois dans l’humanitaire, l’associatif, ou dans un projet… Il est possible de composer avec cela. Typiquement, Orange a mis en place un congé de respiration. Certes, il faut avoir déjà passé quelques années dans l’entreprise, mais les collaborateurs peuvent partir plusieurs mois et continuer à percevoir 70 % de leur salaire, à condition d’intégrer des structures ou programmes qui participent à l’intérêt général.
Par ailleurs, certains jeunes quittent la société, parce qu’ils ont besoin d’aller voir ailleurs ou de créer leur propre entreprise… Lorsqu’ils s’en vont, il est capital de réaliser des entretiens d’offboarding. D’abord parce que cela permet de garder le contact avec de bons éléments, et parce que les jeunes sont une vraie communauté (ils peuvent devenir des ambassadeurs de l’entreprise). Et puis ils ne sont pas fermés à l’idée de revenir dans une entreprise dans laquelle ils ont déjà travaillé.
Que peut-on dire de la quête de sens chez les plus jeunes collaborateurs ?
C’est également un point important. Cette quête de sens, elle compte pour la jeune génération. Elle est encore plus présente lorsqu’on interroge une jeunesse que je qualifierais de privilégiée – des jeunes ayant eu la chance d’être diplômés. Parmi les jeunes ouvriers, le salaire à la fin du mois reste un critère prioritaire. Mais sur le plan général, il y a un grand besoin d’utilité sociale. Ils veulent un travail dans lequel ils se sentent utiles. Et ce sentiment d’utilité, ils ne le trouvent pas uniquement à travers les questions environnementales. Ils peuvent le trouver dans le social, le handicap, l’égalité des sexes, des origines, l’orientation sexuelle… Il y a des causes qu’ils ont besoin de défendre. Il y a un souhait de travailler pour une entreprise qui est engagée (ou souhaite s’engager) et qui est alignée avec leurs valeurs.
Finalement, est-ce que tout ce que vous évoquez n’est valable que pour la génération Z ?
Le phénomène devient assez global effectivement, et les évolutions actuelles dans le monde du travail couvaient depuis quelques années. Ce qu’il faut remarquer, c’est que comme par le passé, tout cela part de la jeune génération. En mai 68, on parlait déjà de cette crise d’autorité, des jeunes qui se rebellaient face aux anciens, qui demandaient davantage de liberté… Donc c’est quelque chose qui est propre à la jeunesse.
Par rapport au contexte dans lequel on vit, ce qui est propre à la génération Z, c’est le télétravail, qui se normalise, c’est la digitalisation, le numérique, les sujets RSE. La crise de la COVID-19 a accéléré tous ces questionnements liés à la RSE. Aujourd’hui, les écoles n’ont plus le choix de valoriser la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux, les limites de la planète, les enjeux physiques – climat, biodiversité, énergie, ressources, les implications pour notre société -, à côté des critères d’excellence traditionnels. Au-delà du discours, les écoles comme les entreprises doivent montrer des actions concrètes en laissant les jeunes être protagonistes de leurs histoires.