Mis en place par un nombre croissant d’entreprises, y compris en France, les congés illimités ont de quoi séduire. Comment fonctionnent-ils ? Comment cela se passe-t-il sur le terrain ? Chez Indeed, ils ont été mis en place il y a plusieurs années. Charles Chantala, Senior Sales Director chez Indeed France, partage son retour d’expérience.

Qu’est-ce qui a poussé Indeed à mettre en place les congés illimités ?

Les congés illimités ont été implémentés chez Indeed en 2016. La décision est venue du groupe. Elle s’applique aujourd’hui aux onze mille collaborateurs d’Indeed dans le monde. En mettant cette mesure en place, notre organisation avait la volonté d’entériner une manière de travailler et d’envisager la relation avec nos collaborateurs. Nous croyons profondément à la responsabilité individuelle et à l’autonomie. Nous considérons que nous sommes une entreprise composée d’individus adultes, alignés autour d’un projet clair, où chacun sait ce qu’il a à faire. Avec les congés illimités, nous sommes allés au bout de ce que nous prêchons depuis des années. Nous avons mis en place les conditions d’un travail le plus autonome possible que l’on estime être le plus épanouissant et le plus recherché par les collaborateurs.

Concrètement, comment ça se passe ? Quelles sont les modalités pour prendre des congés chez Indeed ?

Nous ne sommes pas dans un système où l’on peut tout se permettre, évidemment. Pour que l’entreprise continue à fonctionner efficacement et que les équipes ne se retrouvent pas désorganisées ou en souffrance, il est important de mettre en place des modalités claires. Nous savions, au moment d’implémenter les congés illimités, que dans certains cas aux États-Unis, le fait qu’il n’y ait plus de règles sur le nombre de jours de congé donnés a pu induire des baisses du nombre de jours pris par exemple. Indeed a donc été clair dès le départ sur le fait que l’objectif était que ce nombre augmente. S’agissant des règles pratiques, la prise de jours ne peut pas se faire au détriment d’autres collègues qui pourraient se retrouver avec du travail supplémentaire pendant que quelqu’un prend une sixième semaine de congé. Si un collaborateur souhaite prendre des jours au-delà des cinq semaines légales et des jours de RTT prévus (pour partir plus tôt en vacances, pour se reposer ou parce qu’il a une difficulté personnelle), le premier réflexe doit être d’en parler aux collaborateurs de l’équipe, puis au manager qui validera ou non les congés, comme pour les congés légaux, avec le même process. Les jours sont ensuite inscrits dans nos systèmes de la même manière que les jours classiques.

Avez-vous constaté des changements dans le bien-être de vos collaborateurs depuis la mise en place des congés illimités ?

Au moins deux fois par an, nous réalisons des sondages d’engagement. Quel est le niveau de satisfaction de nos collaborateurs vis-à-vis de leur emploi ? Est-ce qu’il y a une cohérence entre leur charge de travail et le temps dont ils disposent ? Ont-ils la capacité de déconnecter de manière efficace pendant leur temps libre ?… Au travers des réponses à ces questions, entre autres, nous pouvons affirmer que la satisfaction et l’engagement de nos collaborateurs sont plus élevés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 2015 et 2016. Le nombre moyen de jours de congé au niveau mondial a augmenté d’environ sept jours. À Paris, où je suis basé, les arrêts maladie sont très rares. Le fait de pouvoir se reposer lorsqu’on sent que la fatigue monte n’y est assurément pas pour rien.

Avez-vous constaté des changements dans les résultats de l’entreprise ?

La rentabilité et la croissance d’Indeed n’ont jamais été aussi élevées que depuis que l’on prend un peu plus de congés. Nous sommes, de ce fait, d’autant plus à l’aise avec ces congés illimités. Nous estimons que les collaborateurs sont plus productifs quand ils sont bien dans leur peau, moins stressés, plus reposés. Tout le monde est gagnant. Si quelqu’un est fatigué, a un souci, le fait d’avoir épuisé les congés légaux et les RTT ne doit pas être bloquant.

Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui envisage de mettre en place les congés illimités ?

Je dirais qu’il faut mettre cette mesure en place uniquement si le souhait profond est que les collaborateurs prennent des jours de congé supplémentaires. Il faut être clair sur ce point. Il faut également être transparent sur le fait que le manager peut ponctuellement dire non à des jours de congé supplémentaires pour le bien d’une équipe et des résultats de l’entreprise. En même temps, il est important de former les managers pour qu’ils créent un climat dans lequel les collaborateurs se sentent assez à l’aise pour demander des jours supplémentaires. Ils doivent même encourager les collaborateurs à prendre des jours quand ils en ont besoin. Il est également indispensable de mesurer l’utilisation des congés équipe par équipe. Cela permet de mettre le doigt sur des décalages éventuels d’une équipe à une autre, qui sont révélateurs d’une dynamique d’équipe dans laquelle les gens sont mal à l’aise à l’idée de prendre des jours en plus, ou dans laquelle la charge de travail est peut-être trop élevée. Il faut demander aux collaborateurs pourquoi ils n’ont pas pris de congés dans les derniers mois si c’est le cas. Il faut enfin expliquer d’entrée de jeu quelles sont les limites s’il y en a. Si l’activité est particulièrement importante sur un ou deux mois de l’année, il faut annoncer que la mesure ne s’appliquera pas durant cette période.

Toutes les entreprises peuvent-elles mettre en place les congés illimités ?

Je vois deux limites à ce modèle. La première est que dans certains secteurs d’activité, il sera très compliqué à mettre en place. Lorsque les équipes travaillent de manière décalée par exemple, en groupes de quelques personnes pour faire fonctionner une machine, cela demande une gymnastique quasi impossible à réaliser… Le deuxième bémol que je vois est qu’il s’agit d’une mesure qui peut être risquée s’il n’y a pas déjà, dans l’organisation, une culture d’entreprise forte et saine. Le respect mutuel entre employés et employeur doit être installé. Des rapports conflictuels ne doivent pas exister. Il ne faut pas attendre en effet que le congé illimité vienne scelle l’adhésion entre l’entreprise et ses salariés. Ça n’est pas une solution miracle.