Fermer la navigation

Le recours au télétravail massif va-t-il faire muter profondément les entreprises ?

Nouveaux usages au travail | 14 avril 2020
Le recours au télétravail massif va-t-il faire muter profondément les entreprises ?

Alors que nous traversons une crise sanitaire sans précédent, la Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, affirmait le 13 mars 2020 qu’un actif sur trois pourrait pratiquer le télétravail durant cette période de confinement. Comment cette pratique de télétravail massif imposée par une situation inédite, auparavant ponctuelle, va-t-elle marquer les entreprises ? Quelles évolutions va-t-elle engendrer demain, au sortir du confinement ? Nous avons interviewé Jean Pouly, fondateur du cabinet de conseil ECONUM spécialisé dans la transformation numérique durable des organisations et des territoires, pour connaître son avis.

Comment observez-vous cet usage massif du télétravail en période de confinement ? Qu’est-ce que cela va engendrer ?

Jean Pouly : Ce que j’observe avant tout c’est une prise de conscience ! La numérisation du travail ne date pas d’aujourd’hui, elle s’accélère plutôt. Avec l’informatisation des années 80, l’arrivée d’internet dans les années 90 et notre utilisation du numérique aujourd’hui, pour nombre d’entre nous, cet usage fait partie intégrante de nos vies.

Nous avons globalement dépassé les freins technologiques, juridiques et réglementaires qui ralentissaient la pratique du télétravail. Il ne restait que des freins organisationnels et managériaux. Cette prise de conscience va avoir des impacts profonds pour une raison simple : nous allons prendre conscience que ce que l’on s’interdisait, ou que l’on nous interdisait [le télétravail] devient possible !

Actuellement, selon la Ministre du Travail, un tiers des actifs serait en télétravail. Cela comprend une pluralité d’individus. Des cadres dirigeants aux secrétaires, en passant par les employés administratifs : tous vont réaliser que le télétravail massif est possible, même en mode dégradé comme actuellement, avec ses avantages et ses inconvénients.

Ainsi, les blocages et les interdits autour du télétravail vont sauter comme des verrous. Plus rien ne sera comme avant pour les salariés, les managers ou encore les dirigeants ! Cette prise de conscience va massivement et durablement changer le rapport au travail. 

Pensez-vous que cette prise de conscience soit temporaire, ou qu’elle puisse s’inscrire dans le temps ?

Jean Pouly : Je pense que nous connaissons le même leapfrog que les pays africains ont pu connaître avec le développement du numérique. En quelques années seulement, sans étapes, ils ont fait un bond technologique. Certains n’avaient aucune ligne téléphonique, puis ont soudain eu un smartphone.

Ce concept du leapfrog, qu’on appelle aussi saut de grenouille est celui que nous traversons actuellement avec le télétravail. Dans une situation normale, l’intégration de cette pratique aurait peut-être pris 10 ou 15 ans. Or, la situation actuelle génère une intégration culturelle massive et soudaine et nous propulse vers ce nouveau mode de travail. Puis, va suivre ce que j’appelle « l’effet cliquet », il n’y aura plus de retour en arrière possible ! Un manager ne pourra plus refuser à ses salariés de télétravailler puisque nous y parvenons en ce moment, de surcroît en mode dégradé. 

Quels sont les bénéfices et les limites de cette prise de conscience autour du télétravail massif ?

Jean Pouly : La situation actuelle va permettre aux entreprises, aux managers et aux salariés de procéder à des retours d’expérience constructifs en se posant les bonnes questions pour comprendre à l’avenir, ce qu’il convient ou non de mettre en place pour une pratique du télétravail massif réussie. Que conserve-t-on de cette expérience pour parvenir à maintenir une continuité d’activité ? Quels mécanismes, quels rituels de travail à distance a-t-on mis en place et fonctionnent ? 

Cette prise de conscience mérite également que l’on soit attentifs à d’éventuelles dérives. Je pense principalement à la surveillance excessive et à l’isolement. Il faut veiller à ce qu’une forme de surveillance sociale que l’on peut connaître au bureau avec un référent de l’open space, ne devienne pas une surveillance numérique où notre chef peut réaliser une capture de notre écran. 

Concernant l’isolement, il faut être vigilant et ne pas aller trop loin dans le télétravail à domicile. Actuellement, c’est évident, les gens vivent le côté très négatif du télétravail. Il n’y pas, ou peu, de frontières entre la vie professionnelle et personnelle, on a du mal à se déconnecter, le stress est plus présent, les soucis du bureau envahissent l’espace personnel. C’est la raison pour laquelle je pense qu’à l’avenir  les espaces de cowoking sont une solution médiane qui allie ergonomie et socialisation.

Dans le futur, un autre risque auquel il faudra faire face concerne la fracture « col blanc / col bleu » que le télétravail massif peut accentuer. Comment trouver le juste équilibre entre ceux qui peuvent travailler en back-office, mais risquent de ne pas savoir déconnecter, et ceux dont les tâches ne sont pas télétravaillables, et prennent potentiellement plus de risques ?  C’est un enjeu collectif et une juste réponse à trouver

Si les organisations changent, pensez-vous également que le foncier ou les infrastructures IT, vont être impactés ?

La crise que nous traversons va certainement changer profondément les organisations qui réalisent que l’on peut organiser moins de réunions, demander moins de déplacements.

D’une part, pour prendre moins de risques car nous ne connaissons pas encore la portée de cette pandémie dans le futur et ne savons pas s’il y aura des rebonds. D’autre part, parce que la crise économique majeure qui nous attend va nécessiter l’activation de leviers d’économie qui peuvent être de cet ordre-là. Qui sait si nous ne connaîtrons pas non plus des changements systémiques comme la remise en place des frontières ?

Ainsi, concernant le volet foncier, le spécialiste mondial de l’immobilier Jones Lang Lasalle l’exprime dans une étude : le flexoffice va exploser ! Il représente 3 % l’immobilier de bureau aujourd’hui.

Demain, entre 20 % et 30 % d’espaces de bureau seront dédiés au flexoffice. Pourquoi payer 15 000 € de locaux par an pour ses collaborateurs alors que l’on peut proposer à la fois du télétravail chez soi ainsi que du coworking pour 200 € par mois ? Il suffira aux organisations de ne conserver que des salles de réunion et limiter au maximum les bureaux individuels. 

On note également l’explosion des outils numériques collaboratifs : des outils de visioconférence comme Teams, Zoom, Meet ; de gestion de projet comme Trello, Planner, Airtable, Monday ; des drives sur le Cloud pour permettre le partage de documents en ligne.

On voit parallèlement apparaître des micro-outils nouveaux comme le sondage en ligne pendant les réunions, qui permet des réponses en direct, que l’on ne pouvait pas réaliser en présentiel. Notons d’ailleurs dans les évolutions IT l’apparition d’un nouveau rôle : animateur de réunions. Concrètement, je pense que les infrastructures IT et l’immobilier vont vivre de nombreuses innovations grâce au télétravail massif. 

Et les impacts sur le management ?

Jean Pouly : Le management va, de fait, devoir évoluer. Il va devoir se transformer en « smartwork manager » et s’assurer notamment de la QVT des salariés en remote, inventer de nouveaux modes organisationnels, s’adapter à des horaires explosés, plus libres et décalés, et laisser une grande flexibilité aux collaborateurs.

Le principal enjeu pour le télétravail au sortir de cette crise, s’il devient pérenne et massif, sera d’encadrer cette pratique. Instaurer des horaires flexibles, des rites, des réflexes, faire évoluer le management. Citons par exemple la notion d’horaires fixes, qui sera bientôt dépassée et n’aura plus de raison d’être. Ou encore l’apparition de reporting en ligne, de questionnaires hebdomadaires de ressentis, de formations sur le management à distance.

À l’avenir, avec le télétravail massif, tout va se construire et se réinventer ! 

Livre blanc télétravail : la nécessaire transformation des environnements de travail

A télécharger

Nos ressources sur les nouveaux usages au travail

Pour tout découvrir sur les nouvelles formes du travail et de son organisation, découvrez nos livres blancs, cas clients, fiches pratiques, webinars...

Nos ressources nouveaux usages
Estimez votre budget titres restaurant

Vous souhaitez mettre en place des titres-restaurant pour offrir une meilleure expérience déjeuner à vos collaborateurs ?

Faire une estimation
Fermer la recherche