« Télétravail : un nouveau contrat de confiance entre salariés et managers »
La pratique du télétravail se généralise en France, souvent pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire… Capucine Jubin, fondatrice et dirigeante de Mentor RH, accompagne les entreprises dans leurs problématiques RH depuis plusieurs années. C’est un témoin privilégié de bonnes pratiques en matière de télétravail et de son management. Interview.
Le télétravail gagne du terrain dans les entreprises françaises. Dans quel contexte se déploie-t-il ?
Quelques entreprises ont été pionnières dans la mise en place du télétravail comme nouvelle modalité d’organisation du travail. Elles ont souhaité profiter de cette opportunité de moderniser les rapports au travail, d’apporter de la souplesse ou encore de s’adapter aux attentes de leurs collaborateurs en matière d’équilibre vie professionnelle/vie personnelle.
Mais aujourd(hui, dans ma pratique, j’observe deux grands types de circonstances, un peu différents. La première est en réaction aux épisodes de grève. C’est l’occasion de tester une nouvelle formule d’organisation du travail, sans l’avoir forcément anticipée… La seconde renvoie aux entreprises qui n’y sont pas vraiment favorables : elles s’y lancent sous la pression des des salariés ou des syndicats et aboutissent à une charte ou un accord d’entreprise souvent très contraignants…
Dans ces deux cas, l’expérience est rarement concluante, et pour la même raison : les attentes de l’entreprise, des managers et des salariés n’ont pas été suffisamment écoutées au préalable. On le fait parce que l’on pense ne pas avoir d’autres choix. Or, le télétravail est une question de confiance. Et tous les individus n’ont pas le même capital confiance. Il faut nourrir ce capital, au risque sinon de créer des frustrations entre salariés, entre services, de la défiance aussi de la part des managers les plus contrôlants… C’est toute l’ambiance de travail qui peut se dégrader et avec elle, la motivation des collaborateurs et à terme leur performance.
Comment limiter ces risques ?
S’il fallait choisir une seule bonne pratique, ce serait de s’interroger collectivement dans la structure sur les besoins de chacun, dirigeants, managers, salariés. On ne déploie pas le télétravail parce que les salariés le demandent : il doit répondre à des objectifs « win-win ». C’est l’occasion de libérer la parole et de lever toutes les idées reçues sur le télétravail.
Ensuite, je préconise de lancer une phase de test pour se roder : définir d’abord un petit nombre de jours, une équipe, un service, avant d’élargir. J’insiste aussi sur le nécessaire calibrage de l’investissement financier que cela représente pour l’entreprise : ordinateur connecté au réseau d’entreprise, connexion de qualité, logiciel opérationnel, outil permettant aussi de travailler en mode collaboratif…
Faut-il obligatoirement en passer par un cadre juridique ?
Les ordonnances Macron sont venues assouplir justement sa mise en place. Le télétravail peut faire l’objet d’un accord collectif, d’une charte (lien à faire sur MLM.347) élaborée par l’employeur et le Comité Social et Économique ou d’un simple accord entre salarié et manager échangé par e-mail. Au-delà d’une certaine taille de structure, je conseille d’en coucher par écrit les grands principes. Il y a autant de manière de manager les équipes en télétravail que de manager. Flicage, rétention d’information, marginalisation de collaborateurs… on connaît bien les effets pervers du télétravail sur des managers mal préparés.
Quels conseils donneriez-vous spécifiquement aux managers ?
Ce sont d’abord des règles de bon sens. Comme partager clairement avec son équipe la pratique du télétravail au quotidien : plages de joignabilité, points de rendez-vous téléphoniques ou en visioconférence, usage des outils collaboratifs… Les managers doivent aussi être vigilants à préserver l’esprit d’équipe en maintenant un rythme de réunions hebdomadaires, en physique ou à distance…
Le télétravail ne peut se déployer efficacement que sur-mesure. Il n’y a pas de règle absolue si ce n’est d’établir un nouveau contrat de confiance entre salariés et managers. Plus que jamais, ces derniers doivent veiller à accompagner leurs collaborateurs dans l’atteinte de leurs objectifs et sont des facilitateurs. Le télétravail parle en réalité du renouveau de la relation managé-manager et de l’évolution du modèle managérial.
Le télétravail en France, c’est :
29 % de l’effectif des entreprises de plus de dix salariés
5,2 millions de personnes
+ de 700 000 adeptes supplémentaires en un an
51 % de cadres
45 % de salariés entre 35 et 49 ans