Reconversion professionnelle : l’accompagner pour transformer le monde
Béatrice Francou, fondatrice de Be & Do, conseille les entreprises dans leur dynamique de changement, notamment de culture managériale. Elle connaît également parfaitement l’univers des RH et des cabinets d’outplacement. Ce n’est pas un hasard si elle accompagne depuis 2017 les personnes en questionnement ou en transition professionnelle. L’aspiration à la reconversion professionnelle est une tendance de fond de notre société. Et les entreprises françaises ne sont pas toujours bien disposées à les entendre et les accompagner.
Qui sont les personnes que vous accompagnez dans le cadre de vos stages de reconversion ?
Ce qui me frappe, c’est la diversité des situations et des univers métiers. Au sein d’un même groupe, nous avons par exemple accueilli un directeur des services informatiques d’une société de trading à Genève, un technico-opérateur de Danone, une consultante en organisation, un éleveur… Leurs motivations sont très variées : le premier aspire à retrouver de l’autonomie, à être son propre boss. Le second a l’envie de travailler « près de chez lui » en Ardèche et d’y développer une activité cohérente avec ses valeurs. La troisième est totalement stimulée par son boulot qui n’est malheureusement plus compatible avec le temps et le soin que lui demandent ses deux enfants en bas âge. Le dernier enfin a exercé des métiers très différents auparavant et a l’impression d’être arrivé au bout d’un cycle, éprouvant une forme de lassitude quoi qu’il fasse.
Dans cette diversité, quel est le fil rouge qui relie les différents parcours ?
Une nécessité impérieuse de se réaligner avec un mode de vie auquel on aspire, ses valeurs et/ou d’exercer une activité qui allie plaisir et sens. Pour l’un, cela se traduit à travers la création d’une distillerie en Ardèche ou d’une maison d’hôte, au service de la dynamique d’un territoire ; pour l’autre, le projet qui se dessine consiste à se mettre au service des autres, à développer une activité à vocation écologique, parfois spirituelle… Toutes ces personnes portent en elles un besoin profond de changement : de métier, de secteur d’activités, de statut, de géographie, d’ambition de salaire. Le plus souvent, cela n’a rien à voir avec le contenu du poste dernièrement occupé, ce qui est souvent difficile à comprendre pour leurs employeurs.
Avant que le projet de reconversion ne se dessine, la traversée peut être longue pour la personne et son employeur…
Oui évidemment. À titre individuel, la personne est souvent en sur-adaptation dans son poste : une petite voix parle en elle, fruit d’un conditionnement social, familial, culturel : « il faut que je tienne, ça va passer, serre les dents »… Elle aura des difficultés à aller voir son manager, alors qu’au fond d’elle, elle n’a plus la motivation nécessaire à son travail. Alors s’installe un vrai mal-être, avec sa litanie de symptômes : erreurs, arrêts maladie… Prendre conscience de la nécessité d’une reconversion peut être long. C’est d’autant plus déstabilisant pour les managers ou les RH qui les reçoivent en entretien : quand un collaborateur vient faire part de son souhait de reconversion, la mécanique est déjà enclenchée. Elle est « irrécupérable » pour l’entreprise. C’est un dialogue de sourd qui oppose une fiche de poste à une aspiration personnelle et profonde.
Cette dynamique de reconversion concerne davantage des personnes de plus de 40 ans ?
Non, détrompez-vous, c’est un phénomène beaucoup plus large. Ce qui est nouveau, selon moi, c’est qu’il touche également les jeunes sortis de leur formation supérieure. Ils ont terminé parfois major de leur promo et pour autant se détournent de ce qu’ils appellent des métiers « bullshit » pour aller vers des métiers manuels par exemple. Cette quête de sens touche toutes les catégories de la société. Ce phénomène s‘est accentué avec la digitalisation de l’économie qui amène à travailler toujours plus vite et à changer en permanence de process, d’outils, de mode de faire… Il y a aussi la frustration de ne voir qu’une petite partie de la chaîne de valeur à laquelle on contribue, et l’effet digital qui a, dans certaines organisations, dégradé le lien social. Au final, ce sont plusieurs leviers de motivation qui manquent, et un événement déclenche en général la décision d’aller vers autre chose.
Comment les entreprises accompagnent-elles ce phénomène de reconversion ?
Très différemment selon qu’il s’agit d’une petite ou d’une grosse entreprise. Les TPE ou petites PME comprennent qu’il faut aider à partir un collaborateur qui n’est pas bien dans son travail et aspire à autre chose. D’un commun accord, le salarié et son patron enclenchent une rupture conventionnelle. C’est le nerf de la guerre si je puis dire, puisqu’elle permet à la personne de toucher ensuite des indemnités chômage pour financer plus tard la reconversion.
Qu’en est-il des grosses entreprises ?
Elles ont beaucoup plus de difficultés à gérer ces questions. C’est même un sujet tabou. Il est vrai que la rupture conventionnelle a un coût, mais c’est vrai pour toute taille de structure. Selon moi, le blocage est plutôt d’ordre culturel : les entreprises considèrent que c’est leur devoir de développer l’employabilité, on peut comprendre qu’elles trouvent absurde de faciliter le départ d’un collaborateur compétent et apprécié de l’entreprise. La seule voie envisageable pour elles, c’est la démission. Pourtant, elle fragilise davantage encore le salarié, ce qui augmente son stress, son mal-être, celle de l’équipe qui l’entoure, nourrit son absentéisme… On arrive à des situations de blocage parfois longues, dont on ne sait pas toujours qui sortira gagnant.
Les plans de départ volontaires sont tout de même une alternative ?
Oui, mais ce n’est pas leur vocation. Un plan de départ volontaire permet à une entreprise confrontée à un contexte économique défavorable de réduire sa masse salariale sans recourir à une procédure complexe de licenciement économique. Effectivement, certains salariés en profitent pour enclencher leur reconversion, d’autant qu’ils perçoivent des indemnités plus avantageuses que lors d’un licenciement. Cela reste rare et réservé aux salariés des grandes entreprises.
Comment enrayer, selon vous, ces situations de blocage entre le salarié et son employeur ?
À mon sens, il faut réformer l’assurance chômage pour enclencher un changement de mentalité. Le candidat Macron s’était engagé à ouvrir les droits à l’assurance chômage aux salariés qui démissionnent pour changer d’activité ou développer leur propre projet professionnel, sous certaines conditions. En réalité, les accords obtenus par les partenaires sociaux, en mars dernier, ont réduit fortement les conditions d’éligibilité de cette réforme. 20 000 à 30 000 personnes devraient être concernées, selon la ministre du travail, Murielle Pénicaud. Ce n’est pas suffisant. D’ailleurs, dans son discours au Congrès le 10 juillet dernier, Emmanuel Macron est revenu sur la nécessité d’aller plus loin dans les réformes de manière à s’assurer « qu’elles incitent à la création d’emplois de qualité ». Une longue bataille en perspective…
En attendant, les entreprises peuvent agir à titre individuel. Si elles se refusent à la rupture conventionnelle, elles peuvent aménager le temps de travail pour permettre à la personne de travailler à son projet de reconversion, de se former tout en travaillant. Des initiatives vont en ce sens mais elles restent rares. C’est vraiment dommage ! Il y a aussi une autre voie : écouter profondément ces collaborateurs porteurs de changement et les regarder comme des potentiels moteurs de la nécessaire transformation de leur entreprise. Les entreprises doivent considérer un projet de reconversion comme de vrais vecteurs de transformation du monde ! Il permet à la personne de retrouver son énergie vitale à travers l’exercice d’une activité dont la finalité est le plus souvent sociale, humaine, écologique ou sociétale.
Les ¾ des salariés français envisagent de changer de vie
En 2014, l’Afpa et Opinion Way ont mené une étude sur la reconversion professionnelle. Quatre chiffres sont particulièrement représentatifs d’une tendance de fond : > 74 % des salariés ont déjà envisagé de changer de vie ; > 60 % des actifs ont déjà connu un changement d’orientation professionnelle ; > 55 % des personnes ayant effectué une reconversion professionnelle estiment être plus épanouis sur les plans personnel et professionnel ; > 94 % des personnes interrogées jugent difficile la reconversion professionnelle. |