3QA – Emmanuel Druon
Pionnier de l’économie circulaire en France, Emmanuel Druon dirige depuis près de 20 ans l’entreprise POCHECO qui fabrique des enveloppes dans le Nord-Pas-de-Calais. Homme de lettres et de sciences humaines, il « fédère les talents » dans une démarche d’écolonomie* en renonçant au capitalisme financier. Un modèle de croissance vertueux et inspirant, dont le succès est au rendez-vous. Rencontre avec un passionné qui entreprend sans détruire.
1 – Pocheco est devenu une véritable source d’inspiration pour qui souhaite améliorer la qualité de vie dans son entreprise. Pouvez-vous nous parler de votre évolution en matière de QVT ?
L’amélioration de la QVT chez Pocheco s’est faite de manière progressive et collective. Il s’agit vraiment de bon sens : si l’on veut travailler ensemble, faisons-le dans des conditions qui rendent la vie plus agréable. Et tout ce qui peut entamer le plaisir de se retrouver tous les jours doit être éliminé.
L’idée de départ est l’envie de considérer le rapport au travail comme un rapport à la vie, avec l’idée que l’on soit bien ensemble. Ainsi, pour choisir une équipe, on va vers ses préférences naturelles en se demandant « Avec qui ai-je l’intuition que je vais construire une relation de travail harmonieuse ? » On valide les compétences bien sûr, mais aussi l’élément humain.
En matière de QSE (Qualité-Sécurité-Environnement), nous utilisons la méthode des 5S grâce à nos cercles de qualité. Tout ce qui est répétitif est automatisé, et tout ce qui fait appel à l’intelligence humaine a toute sa place et est même encouragé.
Par ailleurs, notre temps de formation représente 20 à 30 % du temps de travail, afin de se mettre à niveau et partager la connaissance.
Photo ©Karine Boudart – L'équipe de Pocheco
2 – Votre livre « Le syndrome du Poisson Lune » est sous-titré «Un manifeste de l’anti-management ». Comment diriger sans manager ?
Au sein de POCHECO, nous privilégions le collectif sur l’individuel. En assumant collectivement notre responsabilité chacun à notre poste, nous n’avons pas besoin de hiérarchie structurée lourde.
Notre colonne vertébrale est un système central souple et résistant basé sur le partage de connaissance, et une démarche fondée sur l’auto-contrôle. Ce système est mis en œuvre par des procédures QSE très strictes, car je crois profondément à la nécessité d’un cadre pour s’élever.
Nous jouons ensuite à un jeu dont les règles sont claires, et que personne ne propose de détourner. La règle de base est « je fais exactement ce que je dis », et ensuite de ne rien exiger des autres que je n’ai d’abord exigé de moi-même. Ainsi, personnellement, je ne vais pas au restaurant avec l’argent de l’entreprise ; je ne dispose pas d’un salaire supérieur à celui de la moyenne de mes collègues etc.
Dès lors, si je n’ai pas à lutter pour survivre, je suis dans un rapport à l’autre dénué de toute la violence qui sclérose le rapport au travail.
Face aux problèmes que nous rencontrons, comme n’importe quelle entreprise, nous activons l’imaginaire pour faire émerger les solutions qui décalent de ce qui se fait de manière conventionnelle. Et si cela nous semble pertinent, nous n’en avons pas peur et nous sommes même très curieux.
Nous ne sommes pas dans un rapport de toute puissance au monde. En cas d’erreur, il n’y a pas d’enjeu de type sanction, et plus vite nous décrivons l’erreur commise, plus vite nous la corrigeons.
3 – Selon vous qu’est ce qui rend le changement si lent et si complexe dans les entreprises ?
Sans aucune certitude, ma conviction est que le système capitaliste financiarisé dans lequel nous nous trouvons depuis 30 ans est très addictif : portable, travail, alcool, drogue, cigarette et même croissance !
On confronte une réalité sociétale et environnementale très difficile en invoquant la crise, mais une crise ne dure pas 30 ans, elle est brève par définition. Nous sommes plutôt en transition. Peut-être que nous sommes dans une période aussi importante que celle qui a séparé le Moyen-âge de la Renaissance. Nous avons peut-être entamé un cycle qui s’appelle « Ce que l’on va mettre en œuvre pour réunir les conditions de survie des espèces sur cette planète ». L’enjeu est formidable ! Il est peut-être le plus engageant que celui que l’humanité ait jamais rencontré.
Évidemment, je souhaite que la proposition faite par Pocheco à sa toute petite échelle, associée à d’autres démarches comme présentées dans Demain le Film, soit assez convaincante pour entraîner la plus grande partie des gens vers un modèle plus respectueux du monde dans lequel nous vivons. C’est la raison pour laquelle j’écris mes livres et que nous avons créé le bureau d’étude « Ouvert » d’écolonomie*. Il y a une demande, un désir, un besoin.
J’ai extrêmement confiance dans la nature humaine et je crois vraiment dans les capacités de résilience du monde vivant. Je suis convaincu que collectivement, nous sommes en train de mesurer les enjeux du monde actuel et de prendre la bonne direction.
*Ecolonomie : entreprendre sans détruire
Les livres d’Emmanuel Druon aux éditions Actes Sud