Comment la crise sanitaire et économique liée à la Covid-19 a bouleversé le rôle des élus du CSE
Avec la crise sanitaire, les élus de CSE ont dû adapter leur manière d’apporter soutien, information, aide aux collaborateurs. Dans l’urgence, ils sont aussi montés en compétences sur certains sujets. Qu’est-ce qui a changé dans le fonctionnement des IRP depuis mars 2020 ? Alors que des plans sociaux se profilent, vont-ils devoir à nouveau s’adapter ? Abdel Benchabbi, fondateur de CE Consultant, nous éclaire sur les multiples bouleversements en cours chez les élus.
Comment les élus de CSE ont-ils appréhendé, selon vous, la situation de crise ces derniers mois ?
Abdel Benchabbi : Comme beaucoup, les CSE ont appris en marchant puisque, forcément, personne n’était préparé à ce scénario catastrophe.
Rappelons qu’à son annonce, le premier confinement était prévu pour quinze jours. Les choses se sont donc faites progressivement et le rôle des élus a évolué en cours de route.
Dans un premier temps, ils ont eu un rôle d’observateur, avec une passivité tout à fait légitime (dans la mesure où personne ne savait si ça allait durer et où aucune décision de type plan social n’était prise). Certains élus de CSE ont réussi à négocier des compensations supérieures à ce que prévoyait la loi pour l’activité partielle, mais leur rôle s’arrêtait à peu près là.
Ensuite, il y a eu une avalanche de textes, d’ordonnances, à la fois pour des raisons de gestion de la crise sanitaire et pour, disait-on, faciliter le droit social. Il y a eu alors une prise de conscience côté CSE des impacts de cette crise sanitaire sur l’économie et en particulier sur les entreprises.
C’est à ce moment là qu’ils ont échangé avec leur direction sur la manière de passer cette crise. C’est aussi à ce moment-là qu’ils ont évoqué l’impact sur le budget des CSE avec la masse salariale qui, mathématiquement, baissait.
Enfin, au moment du premier déconfinement, la question était : “comment rattraper le temps passé ?”. Il y a donc eu des négociations sur les heures supplémentaires, sur les ouvertures le dimanche pour les commerces.
Finalement, tout le monde a eu un comportement “citoyen” dirais-je. Les patrons n’ont pas profité de la situation pour faire des plans sociaux disproportionnés ou injustifiés, et les CSE n’ont pas cherché la petite bête en disant par exemple que le télétravail était impossible. Ça a été une période presque de dialogue social constructif parce que quelque part tout le monde était dans le même bateau.
Sur quels sujets les élus sont-ils montés en compétence ? Quelles cordes ont-ils ajoutées à leur arc ?
Dans les entreprises où les activités étaient maintenues en présentiel (la distribution alimentaire, la logistique…), les élus sont montés en compétence sur les sujets de la sécurité, de la santé, qu’ils ont pris à bras-le-corps. Ils ont d’ailleurs tous été très bons, très vite, sur ces sujets.
Dans les entreprises qui étaient fermées, avec une mise en place du télétravail lorsque c’était possible, les élus ont vite compris qu’ils avaient, avec le télétravail justement, un sujet de négociation important (indemnités, compensations, rappel aux patrons que ce télétravail ne devrait pas être oublié au moment de la sortie de crise). Outre les sujets de santé, ils sont, eux, montés en compétence sur la QVT. Tous ont appris par ailleurs à mettre de côté les postures, les jeux de rôle en réunion, pour mieux collaborer, ce qui a été très constructif.
Qu’est-ce qui a changé dans le fonctionnement des IRP depuis mars dernier ?
Comme tout le monde, les CSE, quel que soit le secteur d’activité ou le métier, se sont mis à la visioconférence pour les réunions. Ils ont créé des groupes WhatsApp pour échanger, cela avec bonne volonté et pro activité.
C’est quelque chose qui leur a permis d’avancer même si, comme tout le monde, ils trouvent que c’est mieux de se voir. Les interactions ont, de fait, été bouleversées. Ils ont perdu le côté fédérateur de se retrouver au local.
Les instants de convivialité avec les collaborateurs, type galette des rois ou Noël, qui étaient l’occasion de créer du lien avec les salariés, ont disparu. C’est aussi un sujet de bouleversement.
Enfin, leur rôle face aux salariés a aussi évolué dans la mesure où leur rôle, traditionnellement, n’est pas de communiquer des mauvaises nouvelles. Il leur a fallu trouver la bonne tonalité pour s’adresser aux collaborateurs.
Est-ce que ces changements ont été notés au sein des entreprises ?
Les directions ont reconnu les efforts des CSE pour s’adapter à la situation. Elles ont aussi reconnu leur souplesse – souplesse qui existait de part et d’autre. Côté salariés, j’imagine que ces derniers ont noté les efforts qui étaient faits pour négocier, soutenir, informer, même si dans ce domaine, peut-être, les élus n’ont pas tout mis en place. On aurait pu attendre des outils permettant aux salariés de s’exprimer librement et d’interpeller les élus (des plateformes d’échange par exemple). Compte tenu de l’ampleur de cette crise, le mail traditionnel qui permet de donner quelques nouvelles n’était pas suffisant.
Alors que des plans sociaux se profilent, les élus de CSE vont-ils une nouvelle fois devoir revoir leur manière de travailler ?
Face à quelque chose qui nous a tellement surpris, chacun comprendra qu’il va être très compliqué de négocier. En temps normal, lorsqu’il y a des plans sociaux, chacun est dans son rôle : la direction explique pourquoi elle n’a pas d’autre choix que d’engager des départs, les élus expliquent quant à eux que c’est disproportionné…
Aujourd’hui, quand une direction vous dit que l’activité ne va pas repartir avant un an, c’est difficile de lui dire que c’est faux. Sans oublier que, lorsque vous n’êtes plus sur votre poste car vous télétravaillez, il n’y a plus les réunions informelles qui permettent normalement de prendre le pouls des salariés, d’être reboosté par l’effet d’équipe qui consistait à dire “ils exagèrent, il faut monter au créneau !”
Les CSE vont devoir apprendre à trouver quasiment un nouveau raisonnement face aux annonces de plans sociaux et d’autres leviers pour négocier les conditions de départ de ceux qui partent. Tout cela dans un contexte où, pour la première fois, ils ont peur pour l’entreprise.